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La curiosité est un vilain défaut nous dit-on, peut-être, peut-être pas. Voilà bien un sujet sur lequel il est difficile de se mettre d’accord. Tenez ! Moi qui vous parle en cet instant je suis sans doute un des êtres les plus curieux de cette planète. Vous me direz que cela est bien normal car comme je n’ai rien d’autre à faire que de courir le monde, cela devient chez moi tout à fait naturel de m’occuper de ce qui ne me regarde pas. Que voulez-vous, tout le monde n’a pas la chance de pouvoir éviter la mort comme le fait votre serviteur, Yaouen Le Malin. Mais tout cela me fait penser à une histoire que j’ai vécu en mai 1852. Cela se passait dans la petite commune de Plouescat, tout au nord de la plus belle région du monde. Cela vous tente que je vous conte maintenant cette aventure ? Oui ! Alors lisez donc les lignes qui vont suivre, mais n’oubliez pas, une fois commencée vous vous devez d’aller jusqu’au bout, car l’histoire meurt si on la quitte avant la fin… |
…Au nord du petit village de Plouescat vivait alors la famille de Corentin Madec. Corentin avait trente-huit ans. Aujourd’hui on le dirait encore jeune, pourtant le pauvre garçon était tellement usé qu’il avait l’apparence d’un homme de soixante ans, cheveux gris y compris. Le brave Corentin passait ses journées à travailler la terre dans l’espoir d’en sortir les maigres légumes qui parviendraient à faire nourrir sa famille. Dans le petit Pen-Ty familial vivait Louison son épouse, ainsi qu’Ewen, Gwen et Maïen, ses trois petites filles âgées de douze, dix et neuf ans.
Une nuit, alors que leurs filles étaient déjà couchées, Louison et Corentin conversaient au coin du feu.
-« Nous n’y arriveront pas ma Louison. Les deux dernières récoltes ont été catastrophiques et le gel tardif de cet année aura sans doute raison de tous mes espoirs sur celle à venir. Nos réserves s’amenuisent. J’ai bien peur que nous n’auront pas grand chose à donner à manger aux petites l’hiver prochain. »
-« Ma Doué, les pauvres petites, mais qu’allons nous faire Corentin ? »
-« J’ai bien réfléchi mon amour. Cela me détruit le cœur mais je ne vois qu’une seule issue possible : Nous devons nous séparer de nos filles. »
-« Nous séparer des filles ? Mais que dis-tu ? Tu n’es qu’un monstre ! Tu ne penses quand même pas que je vais te laisser faire ça ! »
-« Que vas-tu donc imaginer là ! Je ne parle pas de nous en séparer définitivement ! »
-« Que veux-tu dire alors ? »
-« J’ai pensé au couvent de St Pol de Léon. »
-« Le couvent !!!! »
-« Oui, nous pourrions y inscrire les filles. Les sœurs s’occuperaient bien d’elles. Elles sont toujours à la recherche de novices pour les aider dans leurs tâches quotidiennes. Là-bas, elle seront nourris à leur faim. »
-« Les pauvres petites, devenir des nones parce que leurs parents sont incapables de leur donner à manger. Nous ne sommes pas dignes d’être père et mère. »
-« Peut-être est-ce simplement la volonté du seigneur ! »
Au même moment, trois coups sourds résonnèrent à la porte.
-« Qui cela peut-il être ? » Se demanda à voix haute Louison.
-« Pour venir à c’t’heure ci, faut qu’un malheur se soit produit au village. » Lui répondit Corentin qui n’osait pas bouger.
De nouveau, l’on frappa trois coups à la porte. Cette fois-ci Corentin se leva et alla l’ouvrir. Peut-être l’aviez-vous déjà deviné mais ce que Corentin trouva derrière la porte, ce n’était ni plus ni moins que votre serviteur, car c’était là, la minute que le temps avait choisi pour que j’apparaisse dans cette histoire.
-« Bonsoir ! » Me dit Corentin Madec.
-« Bonsoir brave homme. » Lui répondis-je. « Je m’appelle Yaouen Le Malin. Je suis tantôt conteur, tantôt poète, tantôt je résous des affaires étranges. Le gouverneur de Brest m’a d’ailleurs convoqué à son chevet pour une sombre histoire qui soi-disant requiert toutes mes connaissances. Je suis parti ce matin de Morlaix et ayant vu de la lumière dans la nuit je me suis permis de frapper à votre porte car comble de malchance la pluie commence à tomber. Aussi, je me demandais si vous auriez pu m’offrir l’hospitalité pour ce soir et m’autoriser à dormir dans la paille de votre remise. »
-« Entrez donc ! » Me cria Louison du fond de la pièce. « Approchez-vous du feu ! Vous devez être frigorifié ! »
Je n’avais pas attendu d’autre invitation pour pénétrer dans la pièce dont la chaleur me léchait les joues rougies par la fraîcheur de la pluie du soir. Corentin avait fait un pas de coté pour me laisser le chemin libre.
-« Asseyez-vous mon bon monsieur. » Rajouta Louison en me montrant le siège qui se trouvait le plus près de l’âtre rougeoyant. « Avez-vous faim ? Nous n’avons pas grand chose, mais il nous reste un peu de pain et de la graisse salée. Cela vous ferait-il plaisir ? »
J’avais tellement faim que je n’osai refuser et ce, bien qu’un rapide coup d’œil m’avait permis de me rendre compte de la misère de ces pauvres gens. Louison posa la boule de pain sur la table avec le bol de graisse. J’avais avalé une grosse tartine. Nous parlions tous les trois des banalités courantes : le temps qui nuit à la récolte, les saisons qui ne sont plus comme avant. Bref, nous revisitions tous les sujets qui comme moi traversent le temps et l’histoire sans jamais changer d’un trait. Soudain, on entendit trois coups sourds à la porte.
-« Encore ! » Lâcha Lousion. « Qui cela peut-il bien être à cette heure ? »
-« Nous allons bien vite le savoir. » Répondit Corentin en se dirigeant vers la porte.
Quand il ouvrit cette dernière, je sentis un vent glacial s’engouffrer dans la pièce. Posant machinalement mes yeux sur le foyer pour y chercher un regain de chaleur, je vis les flammes passer de jaune à bleu, puis de bleu à rouge vif, avant de retrouver leur aspect normal.
Un personnage sombre et inquiétant de près de deux mètres de haut, tout de noir vêtu se tenait près de la porte.
-« Monsieur ? » Le questionna Corentin.
L’individu répondit d’une voix rocailleuse et lugubre qui semblait toute aussi glacée que le vent du soir.
-« Je me suis égaré sur le chemin de Plouguerneau où une bonne âme m’attend à cette heure. Il fait si froid, puis-je rentrer un court instant pour me réchauffer, je ne vous dérangerai pas trop longtemps. Quelques minutes à peine, le temps de me revigorer et je reprends mon chemin. »
De la même façon qu’elle m’avait accueilli, Louison incita le sinistre personnage à s’asseoir près du feu. Il s’avança jusqu’à moi tout en gardant son capuchon sur le crâne. Ce dernier lui masquait une bonne partie du visage
-« Avez-vous faim ? Si tel est le cas, servez-vous donc, le pain et la graisse sont encore sur la table. »
Comme moi, l’inconnu se servit une tranche de pain. Bien que je ne pouvais voir de façon significative les traits de son visage, je flairais que l’individu me dévisageait. Je le ressentais tellement fort que je m’en sentais terriblement mal à l’aise. Allez savoir pourquoi, quelque chose en lui m’était familier, sa démarche peut-être, à moins que ce ne soit sa façon de se tenir, où peut-être le timbre de sa voix. J’avais l’impression de le connaître sans pour autant en être sûr.
-« Vous aussi vous étiez sur la route ? » Me demanda-t-il de sa voix caverneuse.
-« Euh… Oui ! » Lui répondis-je.
-« Et ces pauvres gens vous ont aussi offert leur hospitalité ? »
-« Plus petite est la bourse, plus grand est le cœur. » Lui avais-je répondu en citant un philosophe jadis célèbre aujourd’hui oublié.
Une fois son morceau de pain terminé l’étrange personnage se releva.
-« Je dois m’en aller à présent. » Dit-il.
-« Vous pouvez dormir ici si vous le souhaitez ! » Lui lança Louison. « La remise est assez grande vous savez ! »
Sur le coup j’eu du mal à avaler ma salive. Je n’étais guère rassuré à l’idée de dormir en compagnie d’un tel individu.
-« Vous êtes très aimable, mais je dois partir à présent. Je vous l’ai dit : on m’attend. Mais comme vous avez été très gentil envers moi je vais vous faire un cadeau et pourtant, ce n’est guère dans mes habitudes. »
Il s’approcha de Corentin en lui tendant un petit sac qu’il sortit comme par enchantement de dessous sa longue gabardine.
-« Voici un sachet de graines. Tous les ans, le 12 avril, vous en planterez douze d’entre elles au milieu de votre potager et tous les ans, ce même jour, à minuit précises, vous irez fouiller la terre à l’endroit où vous aurez planté les graines. Ce sac est petit, mais bien assez grand pour vous permettre de faire cela jusqu’à la fin de vos jours. N’oubliez pas ! Tous les ans, le 12 avril. Croyez-moi ! Vous ne serez pas déçu. Yaouen vous le dira, je ne suis pas du genre à dire des âneries. »
-« Vous vous connaissez donc ? » Dit Louison en me regardant.
Je fis une moue dubitative montrant clairement que je n’avais pas reconnu l’individu et qu’en tout cas il ne me restait aucun souvenir d’une précédente rencontre.
-« Allons Yaouen ! Nous nous sommes déjà souvent rencontré, je t’ai même emprunté ton nom. Il faudra d’ailleurs bien que je pense à te le rendre un jour ! » Dit-il avant de s’engouffrer dans la nuit sombre et glaciale.
J’avais pâli d’un coup d’un seul. J’étais livide. Mes hôtes s’en étaient évidemment aperçus.
-« Qu’avez-vous ? Vous n’allez pas bien ? »
-« C’est que… je m’appelle Yaouen… Le Malin et que… celui qui m’a emprunté mon nom n’est autre que le Malin lui-même. »
-« Ma Doué ! Le cornu ! Ici ! Dans ma maison ! » Cria Louison.
-« Et dire que je l’ai nourri et réchauffé ! » Lança Corentin en brandissant le sac qu’il tenait encore dans la main. « Je vais jeter tout de suite ces graines au feu ! »