Les constructeurs du moyen âge ne procédaient pas autrement que nous pour percer des puits. Creusant un trou cylindrique, ils y plaçaient un rouet de bois de chêne, sur lequel on élevait le mur en tour ronde. Déblayant peu à peu sous le rouet, celui-ci descendait avec la portion de maçonnerie qu'il supportait; on complétait, à mesure de l'abaissement du rouet, cette maçonnerie cylindrique dans la partie supérieure.
Il existe encore un grand nombre de puits du moyen âge dans nos vieilles villes, dans les châteaux, les cloîtres, les palais et les maisons. Ils sont revêtus de pierres de taille; leur diamètre est très-variable. Il est des puits qui n'ont que trois pieds de diamètre dans œuvre, d'autres qui ont jusqu'à deux et trois toises.
Presque toutes les églises possèdent un puits, soit percé dans une crypte, soit dans un collatéral. Ces puits avaient primitivement été creusés pour les besoins des constructeurs; l'édifice terminé, on posait une margelle à leur orifice, et ils étaient réservés au service du culte. La plupart des cloîtres de monastères étaient pourvus d'un puits, quand la situation des lieux ne permettait pas d'avoir une fontaine à fleur de terre. Les margelles de ces puits sont taillées avec soin, souvent dans un seul morceau de pierre, et ornées de sculptures. L'eau était tirée au moyen d'un seau suspendu à une corde roulant sur une poulie; la suspension de la poulie devenait un motif de décoration, parfois très-heureusement conçu. Le seau d'extraction de l'eau étant fixé à la corde, pour jeter cette eau dans le vase transportable, il était souvent pratiqué autour de la margelle une sorte de caniveau avec gargouille. On voit encore de ces margelles dans nos cloîtres ou nos vieux palais1. La figure 1 présente l'une d'elles, appartenant au XIIIe siècle.
Sur les places des villes on creusait de larges puits, si la situation des localités ne permettait pas l'établissement d'une fontaine. Un des plus remarquables ouvrages en ce genre est le puits principal de la cité de Carcassonne. Le forage de ce puits est fait à travers un énorme banc de grès, et remonte vraisemblablement à une assez haute antiquité. Son diamètre intérieur est de 2m,57. La profondeur actuelle est de 30m,20. La nappe d'eau s'élève parfois jusqu'à 6m,30 de hauteur, mais il est souvent à sec et en partie comblé. Une vieille tradition prétendait qu'avant d'abandonner Carcassonne, les Wisigoths avaient jeté dans ce puits une partie de leurs trésors; mais les fouilles faites à diverses reprises, et notamment depuis peu, n'ont fait sortir du gouffre que de la vase et des débris sans valeur. Ce puits est aujourd'hui couronné par une margelle du XIVe siècle, de grès, dont la disposition est curieuse. Le bahut de grès, d'un mètre de hauteur et de 0m,22 d'épaisseur, supporte trois piles monolithes qui étaient reliées à leur sommet par trois poutres (fig. 2). À chacune de ces poutres était suspendue une poulie. Ainsi, trois personnes en même temps pouvaient puiser de l'eau. En A, est tracé le plan de ce puits; en B, son élévation.
Dans la même cité, sur une petite place, il existe un autre puits également creusé dans le roc, mais d'un plus faible diamètre, dont la margelle et la suspension de la poulie méritent d'être signalées. Nous donnons (fig. 3) en A le plan, et en B l'élévation de ce monument, qui date, comme le précédent, du XIVe siècle. Ici la traverse qui relie les deux piles est de grès et d'un seul morceau. En C, nous avons tracé le détail des bases des piles qui font corps avec le pilastre pénétrant dans la margelle, afin d'éviter les dévers des deux monolithes. La profondeur de ce puits est de 21m,40, et la nappe d'eau de 3m,50.
On ne disposait pas toujours de matériaux assez résistants pour se permettre l'emploi de piles et de traverses de pierre d'une aussi faible épaisseur; alors l'appareil nécessaire à l'attache des poulies était fabriqué en fer et scellé sur une margelle de pierre de taille. Il existe encore dans quelques villes de France des puits ayant conservé leurs armatures de fer des XVe et XVIe siècles.
Si les puits placés extérieurement sur la voie publique étaient d'une grande simplicité, ceux qui s'ouvraient dans les églises où les cloîtres étaient souvent très-richement ornés. Leurs margelles, les supports des poulies, devenaient un motif de décoration. Il existait autrefois, dans le bas côté sud de la cathédrale de Strasbourg, un puits très-riche, taillé dans de la pierre de grès. Sa margelle était tracée sur plan hexagonal. Sur trois des faces, s'élevaient trois piles qui supportaient trois linteaux se réunissant au centre de l'hexagone (voy. le plan A, fig. 4), et soutenant, à leur point de jonction, la poulie attachée à un cul-de-lampe. Les trois linteaux étaient ornés d'arcs avec roses et redents. Une corniche couronnait ces linteaux.
La margelle reposait sur une marche C entourée d'un caniveau saillant D, pour éviter que l'eau échappée des seaux ne se répandît sur le pavé de l'église. Ce puits datait du XIVe siècle, et ne fut enlevé que pendant le dernier siècle.
Beaucoup de cryptes possédaient des puits, dont les eaux passaient souvent pour miraculeuses. On en voit un encore fort ancien dans la crypte de l'église de Pierrefonds (prieuré), dont l'eau guérit, dit-on, des fièvres intermittentes.
Il n'est guère besoin de dire que les tours des châteaux, les donjons, étaient munis de puits creusés et revêtus avec le plus grand soin. Le donjon de Coucy possède son puits, très-large et profond
Un grand rouet avec treuil servait à enlever les seaux. Dans l'une des tours de la porte Narbonnaise, à Carcassonne (celle de droite, en entrant dans la ville), il existe un puits très-large au milieu de la salle basse, et peu profond; l'eau n'étant qu'à quelques mètres du sol. La margelle de ce puits, peu élevée au-dessus du pavé, n'est qu'un caniveau circulaire avec déversoir. Plusieurs personnes pouvaient tirer de l'eau et remplir très-rapidement ainsi un tonneau ou un grand vaisseau. Beaucoup d'autres tours de la cité de Carcassonne possèdent des puits. Celle de Saint-Nazaire en renferme un à deux orifices, l'un au niveau des lisses extérieures, l'autre au niveau du premier étage.
Dans les bâtiments du XIIIe siècle de l'abbaye de Château-Landon (Seine-et-Marne), on voit encore un puits de 1m,05 de diamètre, qui était disposé de manière à desservir plusieurs étages, ainsi que l'indique la coupe C (fig. 5). Ce puits, dont le plan est tracé en A, est pris dans un contre-fort saillant à l'extérieur du bâtiment. La manœuvre du montage des seaux se faisait seulement à l'étage B (voy. la coupe C) au moyen d'un treuil à rouet. On voit encore en a, a', les trous carrés faits dans la pierre, ou plutôt ménagés dans une hauteur d'assise, qui servaient à passer l'arbre du treuil roulant dans le milieu d'une pièce de bois bien équarrie et de 25 centimètres de côté. La corde du puits faisant un ou deux tours sur le tambour b de ce treuil (voy. le plan A' et la coupe D), les seaux étaient suspendus à deux poulies obliques e fixées à la partie supérieure, en g; de sorte qu'en appuyant sur le rouet, soit dans un sens, soit dans l'autre, on faisait monter les seaux au niveau de l'un des étages, où ils étaient arrêtés par la personne chargée de recueillir leur contenu. Ce mécanisme fort simple est indiqué par le plan A' et par la coupe D.
Dans les cours des maisons et palais du moyen âge, on trouve encore des puits d'une forme assez élégante.
La petite cour de service de l'hôtel de la Trémoille, à Paris, en possédait un dont la margelle était d'un beau galbe. Souvent ces puits étaient adossés aux cuisines, aux écuries, et la poulie alors était suspendue à un corbeau saillant engagé dans la maçonnerie au-dessus de la margelle. Ces corbeaux figuraient des animaux portant entre leurs pattes la poulie, ou bien des demi-arcatures avec redents, rosaces, etc. Le puits des cuisines du palais des ducs de Bourgogne, à Dijon, possède encore son support de poulie, lequel figure un lion issant de la muraille. Les puits sont fréquemment chargés d'armoiries, d'emblèmes, de devises, d'inscriptions.
Voici (fig. 6) un joli puits, encore entier, dans une cour d'une maison, de la petite ville de Montréal (Yonne). La margelle, octogonale à l'extérieur, est circulaire à l'intérieur. Deux piles tenant à deux des côtés de l'octogone (voy. le plan) portent un linteau de pierre auquel la poulie est suspendue. Sur l'une de ces piles on voit un écusson orlé, chargé d'un écureuil (voy. le détail A), et au-dessous, un petit cartouche sur lequel est gravée l'inscription suivante: Jehan de Brie m'a fait faire en l'an 1526. N'était cette inscription, on pourrait assigner à ce puits une date beaucoup plus ancienne, car il a tous les caractères du commencement du XVe siècle (voy. les profils B).
La renaissance creusa des puits dont les margelles sont souvent sculptées avec beaucoup d'art et de finesse: on en voit de très-belles à Troyes, à Orléans, à Sens, à Tours, etc.